Conférence extraordinaire de Jean-Hérald Legagneur
QUAND
OÙ
Universität des Saarlandes |
bâtiment A2 2, salle 1.20.1
LANGUE
FR
PROGRAMME
Jean-Hérald Legagneur (Université d’État d’Haïti et résident au Centre Käte Hamburger CURE) donnera une conférence le mercredi 9 juillet 2025 intitulée : « Haïti (2010–2025) : penser une sortie de crise sécuritaire par la bordertexture ». La conférence, qui aura lieu en français, s’inscrit dans le cadre de la série « Atelier Bordertextures » du Center for Border Studies des universités de la Grande Région. Comment penser Haïti autrement qu’à travers les catégories marginalisantes d’« État failli » ou d’« État voyou » ? Que révèle l’intensité des tensions géosociopolitiques qui s’y cristallisent, au cœur du bassin caraïbéen — carrefour géostratégique des Amériques ? Depuis la période coloniale, la partie occidentale de l’Île constitue un véritable laboratoire géopolitique. La frontière y joue simultanément le rôle de scène de pouvoir, d’espace de résistance et de projection. La période allant de 2010 à 2025 illustre pleinement cette dynamique. En effet, le séisme du 12 janvier 2010 a ouvert une double crise humanitaire et politique. La gestion opaque des fonds de la CIRH, l’introduction du choléra par la MINUSTAH (Piarroux, 2019) et l’éviction de Jude Célestin en 2011 au profit de Michel Martelly, soutenu par des puissances étrangères (Peck, 2012), témoignent d’une désarticulation des frontières de l’État haïtien. Ces frontières, qu’elles soient symboliques ou réelles, sont fragilisées par des acteurs qui, tout en affirmant vouloir stabiliser le pays, poursuivent souvent des intérêts divergents. Cela révèle la complexité, mais aussi les contradictions profondes des dynamiques à l’œuvre. Dans un tel contexte, marqué par une forme d’ingérence cynique et performative, un déplacement conceptuel semble nécessaire. La notion de bordertexture (Weier et al., 2021), nourrie des apports théoriques de la nécropolitique d’Achille Mbembe (2016) et des frontières mobiles d’Étienne Balibar (2001), permet de penser la frontière non pas comme une ligne fixe, mais comme une texture relationnelle. Une texture à redéfinir dans tous les champs — notamment par les lettres et les arts, comme le montreront les œuvres mobilisées dans cette présentation. Trois événements récents rendent ce changement de regard d’autant plus nécessaire : en 2019, l’arrestation de mercenaires américains et la saisie d’armes de guerre à l’aéroport de Port-au-Prince ; en 2021, l’assassinat du président Jovenel Moïse par un commando colombien ; et, depuis 2018, la reterritorialisation progressive du pays par des gangs lourdement armés, en grande partie approvisionnés depuis les États-Unis. Plus récemment encore, le classement de ces groupes comme « organisations terroristes internationales » par Marco Rubio s’apparente à une tentative de gestion sécuritaire de l’insécurité — qui vise, en réalité, à en tirer profit ou à la rentabiliser. Ne sommes-nous pas face à une nouvelle phase d’ingérence impériale ou néocoloniale, plus diffuse, mais toujours active ? Et, dès lors, penser une sortie de crise par la bordertexture n’est-ce pas rouvrir l’horizon d’une refondation post-ingérence, fondée sur la justice mémorielle, la réparation institutionnelle et la reconquête de la souveraineté ?
L’« Atelier Bordertextures » est une série de conférences publiques du groupe de travail « Bordertextures » de l’UniGR-Center for Border Studies, dans le cadre desquelles des conférenciers abordent les questions frontalières dans une perspective culturelle et les mettent en relation avec leurs recherches.
