Que signifie vivre dans un environnement infesté de mines antipersonnel et de divers débris militaires, et où la torture et les massacres se font écho à travers le temps ? Comment les gens qui n’ont pas pu ou voulu fuir la guerre en Bosnie-Herzégovine affrontent-ils ces rappels quotidiens à la souffrance vécue ? Mon projet étudie les manières dont la vie reconfigure et restaure son environnement. Pour ce faire, je me penche sur des expositions dans des musées, sur les œuvres littéraires et sur des initiatives de survivants, et j’explore trois modes particuliers du travail de mémoire tel qu’il est façonné par des récits de survie et par les séquelles de douleurs sans fin. Mon analyse se fonde sur le roman Body Kintsugi (2018) de Senka Marić, une autrice bosnienne qui raconte une histoire de maladie, de fragmentation et de guérison. La narration à la deuxième personne invite le lecteur à habiter le corps défiguré et meurtri dépeint dans le texte, et à se mettre en quête de guérison. Ce faisant, je mets en lumière le fait que les survivants n’ignorent pas leurs blessures ni ne tentent de les cacher ou de les taire ; ils les intègrent au contraire dans une nouvelle construction restaurative du sens. De tels actes de mémoire sont guidés par des motifs récurrents de douleurs physiques infligées par la violence, la honte, le deuil, la perte et les solidarités bienveillantes. En accord avec la poétique Kintsugi de réparation visible et incomplète, je cherche à saisir différents états d’un devenir dont les blessures demeurent visibles.
JUN.-PROF. DR. ŽELJANA TUNIĆ
CURRICULUM VITAE
Željana Tunić est depuis 2022 professeure associée d’études culturelles slaves à la Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg. Ses travaux portent sur la façon dont les sociétés des pays slaves font face aux expériences de guerre, de violence et d’érosion des liens sociaux. En plus de textes littéraires, Tunić étudie différents types de pratiques culturelles, telles que les arts du spectacle, la photographie, les expositions, les monuments ou le travail de mémoire. Elle s’est en outre intéressée aux enquêtes médico-légales après des crimes de masse et à la manière dont ils sont culturellement encadrés et prennent place dans le débat public. La recherche sur les échanges culturels entre l’Europe du (Sud-)Est communiste et l’Afrique pendant la guerre froide, ainsi que leurs répercussions actuelles, constitue un autre axe de son travail. Elle est membre du conseil scientifique de la société de l’Europe du Sud-Est (SOG) dont elle dirige le bureau à Halle.
